Introduction par Marie Lelouche et Cyril Crignon

Le numérique est aujourd’hui le puissant moteur d’une évolution technologique qui multiplie les dispositifs encadrant nos imaginaires collectifs.
Des écrans de toutes sortes nous entourent ; nos médias sont aujourd’hui optiques, auditifs, tactiles et même ambiophoniques ; nous ne jouons plus seulement aux jeux vidéo, mais recourons à la simulation en bien d’autres domaines ; nous installons des cartes interactives dans nos voitures ; des interfaces de télé-présence complètent nos outils de télécommunication ; nous « endossons » des technologies toujours plus légères, toujours plus incorporables et toujours plus performantes — les casques de réalité virtuelle et les lunettes de réalité augmentée, désormais Wi-Fi, étant les plus fascinantes de ces Wearable Technologies . Voilà ce qui compose notre Umwelt ; tel est le monde qui est corrélé au vivant que nous sommes devenus. Et bientôt, peut-être, est-ce notre corps lui-même qui se transformera en une vivante interface ou en un organisme hybride sur lequel ce type de dispositifs viendra se greffer voire s’implanter directement : c’est là l’un des scenarii pour notre futur, que le progrès rapide des bio- et des nanotechnologies nous laissent envisager tout à fait sérieusement et que certaines oeuvres de fiction exploitent allègrement.
Une tendance lourde se dessine au sein de notre environnement médial, qui vise à abolir la barrière vers quoi fait signe l’étymologie du mot « écran ». Un élan nous porte en effet à sauter par-delà cette barrière qui sépare l’image de la réalité — ou l’espace factuel et immédiat de l’ici et maintenant d’un espace postulé que l’on peut qualifier de virtuel. Aussi le réel où nous évoluons au quotidien se trouve-t-il tissé de réalités plurielles qui se
réverbèrent et produisent en retour des effets bien réels. Nous y traversons et partageons des espaces qui s’enchevêtrent complètement bien qu’ils aient des référentiels bien distincts et renvoient donc à des perceptions spatiales différentes. Nous cultivons ces deux idées, symétriques et inversées, suivant lesquelles — suivant la dialectique de l’immersion et de l’émergence étudiée par Andrea Pinotti — , soit nous pourrions entrer dans l’image de tout notre corps , soit des éléments de l’image pourraient en briser la paroi et venir vers nous, c’est-à-dire pénétrer notre champ de présence ou l’espace réel et venir modifier la réalité effective. Nous sommes en passe de réaliser le rêve d’une osmose ou d’un environnement partagé entre le réel et l’imaginaire.

Il nous semble urgent de thématiser notre réel diffracté en éclats, au sein d’un Programme de Recherche – création orienté vers les Images, Sciences & Technologies ; comme il nous semble pertinent de brosser un tableau généalogique ou archéologique de ces réalités virtuelles, mixtes ou augmentées — car cette tendance à brouiller les frontières entre l’espace réel et l’espace de l’image(1) ne date pas d’hier : les expériences médiales extrêmes que nous promettent des dispositifs réduisant de plus en plus la médiation de l’écran n’en sont en vérité que l’expression contemporaine ; le développement récent des technologies immersives s’empresse de satisfaire un désir qui nous anime au moins depuis les grottes de Lascaux. L’anthropologie, la paléoanthropologie et l’ethnologie ont en effet mis en évidence le fait que cette capacité à construire des situations imaginaires, des univers de fiction, soit des mondes virtuels se trouvait extraordinairement développée chez les humains — nous laissons de côté la question de savoir si cela en constitue l’un des traits distinctifs de notre espèce ; et il est remarquable que nous puissions nous projeter collectivement dans de telles situations — c’est-à-dire que nous y ayons une expérience en première personne, qui sera donc vécue différemment par tout un chacun, de la même « réalité » — car cela manifeste une capacité que nous avons à coordonner les imaginaires. Autre fait notable : si les aventures que nous y vivons se font par procuration, à travers les entités qui y interagissent, les émotions que nous procure cette identification projective n’en sont pas moins réellement éprouvées avec, parfois, une intensité particulière. (Beaucoup de tests psychologiques l’attestent depuis très longtemps : cela provoque beaucoup de réactions musculaires et nous fait observer des réponses très semblables au niveau du système nerveux autonome.) De ce point de vue-là, on peut dire que les nouvelles technologies ne font qu’investir, au moyen d’interfaces très captivantes permettant de vives interactions avec les contenus et les possibilités d’un médium déterminé, une très ancienne problématique de mise en réseau des imaginaires et de construction collective d’un espace virtuel, qui n’est pas nécessairement immersif et dont il reste, justement, à dresser une typologie précise, à partir des techniques et de leurs effets.

Nous adopterons donc, sur ce sujet d’une actualité intempestive dont il convient d’identifier les enjeuxanthropologiques, une perspective transculturelle, de longue durée et résolument interdisciplinaire.
Non content d’arpenter le champ de la création contemporaine et, plus largement, des pratiques cognitives et élaboratives liées à l’usage des ressources techniques disponibles, nous parcourrons donc l’histoire des arts en quête de ces moments qui ont, en un sens, préparé l’aventure du virtuel et de l’immersif aux époques antérieures à l’avènement du numérique. De Lascaux au cinéma, en passant par le théâtre d’Extrême-Orient, la peinture hollandaise et la scénographie d’exposition moderniste, nous nous attacherons aux formes soulevant la question du seuil de l’image, en échafaudant des stratégies visant à problématiser ou à mettre en discussion la barrière entre l’espace de la fiction et l’espace réel et, idéalement, de nullifier le seuil qui sépare image et réalité , de sorte à ce qu’il n’y ait pas une séparation stricte entre l’image d’un côté et la réalité de l’autre côté, ou entre la scène des acteurs et l’espace du spectateur , mais plutôt une possibilité de confrontation pour créer un environnement commune ou, à tout le moins, une virtualité, partagée, entre le spectateur au-dehors et le monde iconique dans l’image.

Cette archéologie des mondes virtuels nous invite également à nous saisir des outils de la philosophie pour visiter à nouveaux frais le concept d’imagination , considéré d ans ses rapports au concept de technique . Est-on en droit de parler d’un couplage de l’imagination et de la technologie ? Quelles en seraient les raisons, les modalités et les conséquences ? Existe-t-il quelque chose comme une « imagination nue », qui ne serait pas d’ores et déjà technicisée, externalisée ou prothétisée ? En suivant, notamment, des auteurs comme Bernard Stiegler, Pietro Montani ou Maurizio Ferraris, et en renouant avec le paradigme médiologique construit par Marshall McLuhan et actualisé par Lev Manovich — qui s’appuient eux-mêmes sur un certain nombre de leurs prédécesseurs, à commencer par Kant — nous poserons alors que l’imagination est intrinsèquement technique .

Si donc il y a une technicité propre à l’imagination, ou si l’imagination est elle-même une technologie, c’est qu’outre le fait qu’elle conserve les traces du monde perçu et qu’elle sait les reproduire en leur absence, l’imagination se caractérise en réalité par son attitude à projeter des schémas interprétatifs sur le monde extérieur et à interagir de manière créative avec l’environnement. Il revient à Pietro Montani d’avoir mis en évidence cette fonction interactive de l’imagination, à côté des fonctions reproductive et productive qui lui sont traditionnellement reconnues : l’imagination a une incidence sur la modification de l’environnement en se faisant guider par ce qu’elle y trouve ou par ce qu’elle y discerne et y projette — cette technicité de l’imagination interactive ne devant pas être platement rabattue sur une attitude générique à la coopération interprétative, c’est-à-dire à intégrer de manière imaginative le donné, le compléter, à faire l’hypothèse de critères d’organisation ; car cela ne rendrait pas justice à l’essentielle complémentarité entre la multiplicité indéterminée, hétérogène et disparate des formes de la nature que l’imagination enregistre, et la capacité dont dispose celle-ci de moduler, de spécifier et de réorganiser ses propres schémas interprétatifs avec lesquels elle nous permet d’organiser cognitivement cette multiplicité.

Or, dans la mesure où, précisément, elle est interactive, l’imagination est marquée par une propension à s’externaliser dans une technique ou dans différentes techniques et à se faire instruire, se faire représenter et diriger et à se laisser guider, dans son interaction avec le monde réel, par les prothèses techniques dans lesquelles se prolonge, d’une façon tout aussi spontanée et constitutive, la sensibilité dans laquelle notre imagination est enracinée — puisque les signaux qu’il lui faut organiser et les matériaux avec lesquels elle élabore du sens à partir des sensations, ce qui exige souvent un certain degré de créativité , l’imagination les reçoit de la sensibilité. C’est donc en conséquence du lien structurel qui l’unit à cette imagination interactive que la sensibilité humaine est naturellement prédisposée à la délégation technique ou à la délocalisation prothétique ; elle est faite de telle sorte qu’elle se prolonge spontanément dans des artefacts inorganiques (des prothèses de la sensibilité).

Ainsi Bernard Stiegler peut-il dire du cinéma, au sens habituel du terme — le cinéma qui est né en 1895 — , qu’il révèle, dévoile, extériorise et spatialise les effets de ce qu’il appelle « l’archi-cinéma », syntagme sous lequel il subsume les capacités de projection dont nous sommes pourvus — nos capacités à faire des projets, à nous projeter dans des situations imaginaires, dans des mondes différents de l’ici et maintenant, dans l’avenir — et qui sont, au fond, des facultés oniriques, des pouvoirs de rêver — car qu’est-ce en effet qu’imaginer, si ce n’est rêver de façon diurne ? Le cinéma dévoile le fonctionnement de l’archi-cinéma, et donc de nos rêves ! Et cela vaut pour toute technologie, qui permet — parce que c’est un stade de ce que Derrida appelait la grammaticalisation ou de ce que Ferraris appelle aujourd’hui la « documentalité » — de rendre visibles, analysables, tangibles des caractéristiques fondamentales de l’archi-cinéma.

À cet égard, et compte tenu du fait que le développement du numérique nous confronte à des formes de technologies de plus en plus invasives, qui creusent le fossé entre créateurs et consommateurs d’images en guidant, de façon toujours plus étroite, le travail de l’imagination et en réduisant, ce faisant, la part de spontanéité et de créativité individuelle, il pourrait s’avérer pour nous aussi salutaire qu’instructif d’opérer un détour par d’autres sphères culturelles que la nôtre, de visiter ces sociétés dites « éloignées » ou « non modernes », où la construction de mondes virtuels partageables ne requiert pas d’images externalisées. Nous y découvrirons d’autres formes de partage de l’imaginaire que celles que nous connaissons, des formes qui se montrent bien plus frugales en amorces. Les données que nous apporte l’ethnologie s’avèrent extrêmement précieuses, si nous voulons comprendre comment l’imagination peut fonctionner sans s’externaliser en images , ou en s’externalisant, à tout le moins, dans des technologies moins consommatrices d’images. (Le son rivalise déjà avec l’image : d’une grande puissance immersive au cinéma, il est partie prenante de nombreux dispositifs de transe… Il en va de même de la danse et des facultés de proprioception, encore si mal étudiées.) Car il faut bien mettre en oeuvre des techniques particulières pour connecter les imaginaires sans l’aide d’images et coordonner l’immersion et l’action dans des univers de ce fait invisibles. Il y a toutes sortes d’imaginaires et ce sont des arts, des ars en latin, des techniques autrement dit ; de la même manière que — la proposition étant réversible — la technique est une façon d’imaginer et l’imagination conduit vers la pensée qui pense avec ses mains, soit à l’invention technique. Quelles sont donc les « techniques de l’imagination » qui permettent au chaman de voyager dans l’invisible et d’y emmener les membres de sa communauté ? Charles Stépanoff est allé les étudier sur les territoires du nord de l’Eurasie et de l’Amérique. Il a décrit les exercices auxquels des gens en Sibérie, en Asie centrale et au Canada appliquent leur conscience pour effectuer collectivement des voyages mentaux et explorer ensemble des scènes différentes de l’ici et maintenant. Quels sont alors les supports sur lesquels s’appuie l’imagination, si ce n’est des images externalisées ? Quelles amorces employer pour transmettre ces expériences imaginatives qui sont susceptibles d’ouvrir un accès égalitaire au monde, en intégrant ses dimensions visibles et invisibles, humaines et non humaines ? La transmission orale de contes, de scenarii, de situations ou de schémas aussi précis que les tableaux que nous accrochons dans les musées figurent au nombre de ces moyens, comme les rituels et l’usage encadré et provoqué de l’hallucination. Nous sommes ici dans des traditions oniriques — comme il en existe aussi en Australie (cf. les travaux de Barbara Glowczewski) ou en Amérique du sud (cf. les travaux d’Andrea-Luz Gutierrez-Choquevilca) — des traditions où le rêve est une expérience à partager, qui a un sens social.

Une réflexion critique s’impose à nous — critique, au sens où elle ambitionne de marquer les possibilités, mais aussi les limites et les seuils du phénomène observé — sur cette externalisation à quoi la montée en puissance des technologies du numérique confère une ampleur inédite — le phénomène en question ne concernant plus seulement les images internes que nous aurions eues dans la tête et qui se retrouveraient matérialisées sur divers supports, mais aussi des prestations, des performances et des fonctions de la faculté imaginative elle-même. Il convient en effet de souligner l’ambivalence de ce phénomène, l’ambiguïté particulière dont jouit le moment spécifique de l’externalisation. L’espace du rêve, le lieu où l’on se fait son cinéma se trouve en nous-mêmes, il est enfoui au plus profond de nos âmes ; et c’est le lieu de ce que Bernard Stiegler, à la suite de Platon, appelle le pharmakon , c’est-à-dire le lieu de l’artifice tel qu’il est toujours à la fois toxique et curatif et tel qu’il est notre lot — ce qui veut dire : ce dont on ne peut pas sortir : le rêve, c’est notre vie et c’est notre lot. Chaque culture est une façon de prendre soin ou de ne pas prendre soin du pharmakon . Et si ces artifices qui nous sont, au fond, co-naturels peuvent tourner au poison, c’est précisément parce qu’ils ont le pouvoir de capter, de susciter et de manipuler nos capacités de schématisation et de projection, qui sont nos capacités à rêver. D’une façon très générale, c’est que ce que le pouvoir de manipulation du pharmakon peut court-circuiter et détruire. Autrement dit, le cinéma, tel qu’il apparaît en 1895, a aujourd’hui un pouvoir de manipuler et de court-circuiter l’archi-cinéma tout en l’exploitant ; et c’est précisément parce qu’il est une production industrielle de rêve qu’il peut ainsi détruire notre pouvoir de rêver. C’est un pouvoir extrêmement puissant et massif, incommensurable avec tous les pouvoirs qu’ils ont précédé.
Le dispositif technique global utilise aujourd’hui les catégories les plus authentiques de l’esthétique pour optimiser ses propres performances : l’imagination, la sensibilité où elle s’enracine, et la créativité qui peut lui être reconnue. Ainsi notre imagination parvient-elle, de nos jours, à un niveau d’externalisation technique (de ses fonctions, prestations, performances, etc.) jamais vu jusqu’alors ; elle est exposée à une délégation technique sans réserve . Ce stade comporte des périls mais aussi des opportunités, des possibilités de valences élaboratives.


D’un côté, ce dans quoi notre imagination s’externalise en augmente et en spécialise les performances et, de ce point de vue-là, c’est encore elle, mais délocalisée, que nous voyons à l’oeuvre, dans un dispositif de réalité virtuelle ; c’est encore une aptitude de notre imagination, extériorisée dans la fonctionnalité d’une interface, qui nous permet d’interagir avec les contenus. Et pourtant, d’un autre côté, les modifications et les perfectionnements auxquels notre imagination peut s’exercer reste sans commune mesure avec celles et ceux que l’on peut appliquer à ses prothèses délocalisées, parce que cette imagination est enracinée dans une sensibilité dont la principale qualité, chez les animaux humains, est une ouverture illimitée aux stimuli à partir desquels il s’agit d’élaborer du sens, à la contingence et à l’imprévisibilité de l’expérience, au caractère hautement différencié de l’environnement dans lequel nous sommes immergés : notre monde est un environnement riche de différences ; un environnement qui n’est pas préalablement traité ou qui n’est pas intégralement traitable qui nous réserve de continuelles surprises, des imprévus dont il nous faut élaborer des expériences et des connaissances.


La question se pose donc de savoir jusqu’à quel point notre imagination peut tolérer de voir ses prestations délocalisées dans des prothèses ou déléguées à des dispositifs techniques sans cesser d’interagir avec sa matrice, de sorte que ce qui se détache de notre être, l’imaginaire cristallisé en prothèse, soit encore perçu comme un élément essentiel de notre sensibilité, plutôt que comme la simple production d’une machine capable d’améliorer ses performances. Qu’a-t-on à perdre ou à gagner à ce jeu de délégations et de restitutions, qui comporte, tout à la fois, continuité et discontinuité, autonomie relative des prothèses techniques et action en retour de celles-ci sur l’ensemble de l’être sensible ? Le monde qui s’offre à une sensibilité extériorisée d’entrée de jeu dans des prothèses relativement autonomes devient toujours plus ample et plus articulé ; mais il est évident que ce détachement et cette délocalisation agissent aussi, dans la direction opposée, soit dans le sens d’une réduction, d’une canalisation et d’une spécialisation de la sensibilité. Il ne s’agit bien évidemment pas de déplorer une quelconque aliénation de l’imagination — celle-ci étant originellement altérée en tant qu’elle est essentiellement technique ; elle est donc expropriée de toute authenticité présumée . Mais il convient de se demander si ces deux mouvements (celui de la continuité et de la libre extension prothétique, et celui du détachement et de la spécialisation canalisée) peuvent parvenir à un état d’équilibre, et s’il existe un seuil critique ou de la duquel la délégation technique vers laquelle l’imagination humaine est structurellement orientée risque d’en invalider les prestations sémiotiques, c’est-à-dire de la détourner d’une référence « plastique » au monde extérieur, pour la rediriger vers les pratiques auto-référentielles qui ont cours au sein d’un environnement réduit à un ensemble de simulacres programmés informatiquement.

Comment donc l’imagination peut-elle déléguer ses fonctions à des dispositifs techniques, sans pour autant perdre son attitude créative et même en l’augmentant ce faisant ? Quelles sont les prestations élaboratives, ou les performances cognitives, dont on peut supposer qu’elles peuvent être attribuées à une imagination qui s’externalise dans les techniques aujourd’hui disponibles, c’est-à-dire dans les techniques numérisées, et qui pourraient aspirer à élever la teneur créative de l’interactivité accessible à ces techniques, autrement dit leur capacité à influer de manière significative sur les comportements symboliques complexes de l’être humain et à en modifier l’habitat ? De quelles aptitudes nous dotent les technologies qui nous permettent d’évoluer dans un environnement digitalisé et les Wearable Technologies dont le domaine d’exercice est le monde réel, qui seraient susceptibles d’avoir une incidence profonde sur notre proprioceptivité et sur la façon dont nous sommes sensibles aux phénomènes et dont nous interagissons avec le monde environnant ? Compte tenu de leur inhérence à l’imagination, et donc à la technique, les arts ont un rôle déterminant à jouer en ce moment historique et sur le champ de réflexion que nous venons de balayer — un terrain où les interactions arts/sciences s’avèrent aussi très fructueuses.

Aussi consulterons nous des spécialistes en neurosciences de la cognition pour leur demander comment le cerveau humain s’adapte face à nos artefacts. Quels sont les effets feed-back que produit sur lui la délégation technique de ses prestations ? Comment peut-il les rétrojecter ou les ré-internaliser ? Comment la science peut-elle éclaircir cette énigme que pose, du point de vue des théories de l’évolution, notre capacité à construire du virtuel pour nous immerger dedans, et les vivre émotionnellement avec énormément d’affectivité. Comment les neurosciences démontrent-elles que l’on tend à réagir à des situations imaginées ou virtuelles comme si c’étaient des situations réelles ? Et quelles applications pratiques, peuvent-elles en tirer ; comment exploitent-elles ce fait sur leur versant clinique ? Et si les propriétés que présentent les espèces vivantes s’expliquent par un phénomène de sélection qui a favorisé dans le passé les individus les plus adaptés à leur environnement, l’adaptation se concevant alors comme le fait d’avoir une bonne perception du réel pour être capable de réagir correctement, alors à quoi cela peut-il bien servir que de confondre du réel et du virtuel, à quoi cela peut-il bien servir que d’éprouver des émotions face à du virtuel comme si c’était du réel, quels peuvent bien être les avantages adaptatifs d’une imbrication du réel et du virtuel ?

1 – Il ne s’agira pas, pour nous, de traiter de l’ « image » en tant que forme plastique exclusive qui se trouve inscrite sur un support à deux dimensions, étant entendu que, outre le fait qu’il existe des images littéraires et des motifs musicaux, les productions visuelles sollicitent aujourd’hui de plus en plus intensément les dimensions tactiles, haptiques, kinesthésiques, proprioceptives, auditives, etc., mais aussi interviennent directement sur nos représentations mentales, en font leur objet ou leurs matériaux.