2017-2018 : Collisions
Depuis septembre 2017, le programme s’attache à multiplier les rencontres entre les physiciens des particules et les étudiants en art. Comme nous l’énoncions plus haut, rien ne garantissait que la physique des particules puisse susciter de l’intérêt auprès d’étudiants en art. Sauf à concevoir ce domaine sous l’angle suivant : travailler sur les particules, c’est se tourner vers l’étude des constituants fondamentaux de la matière, c’est se demander de quoi est constitué l’univers primordial. Interroger le monde subatomique, c’est aller au coeur de la recherche, en observant ces gigantesques instruments que sont les accélérateurs de particules ou ces puissants microscopes dont on suppose qu’ils pourraient nous permettre de répondre à notre désir fondamental de connaissance. Car au fond, comment concevoir les éléments premiers qui nous structurent et composent l’univers ? Mieux : pouvons-nous les représenter ? En imaginer des formes artistiques qui entrent en résonance avec l’iconographie scientifique ? Nous autorisons-nous à en proposer des conversions plastiques à l’aide de dessins, d’impressions 3D, d’installations numériques et sonores ? Cet axe de recherche implique de nouveau de se demander : qu’est-ce que voir ?, notamment lorsqu’on considère comme l’énonce Aurélien Barrau que “la lumière à laquelle nous sommes sensibles n’est qu’une fraction absolument dérisoire de l’ensemble des lumières existantes…” D’une certaine manière, notre programme tente de poser la question suivante : comment donner à voir – à sentir, à entendre – des éléments dont on ne saisit que des interactions ?
Dans ce cadre, nous avons en premier lieu fait appel à l’historienne des sciences Charlotte Bigg, membre du CNRS et du conseil de laboratoire du Centre Alexandre Koyré. Dans sa conférence, Charlotte Bigg traita de la question de l’image de l’atome en démontrant combien les différentes théories de l’atome, au fil de son histoire, pouvaient modifier sa représentation. C’est lorsque les scientifiques s’emploient à visualiser leur recherche, qu’il devient alors possible pour les acteurs du monde de l’art de se saisir du “matériau” science.
Pour poursuivre cette immersion dans le domaine de la physique des particules, le programme a invité pendant une journée entière l’astrophysicien Aurélien Barrau, détenteur d’un doctorat d’esthétique et d’une thèse en astrophysique à haute énergie, à venir discuter avec les étudiants des étapes de leurs recherches. Revenant sur l’histoire du modèle du Big Bang, sur les représentations du fond diffus cosmologique, sur les astroparticules et sur l’histoire du temps, Aurélien Barrau a développé une réflexion sur les modalités de construction de l’imagerie scientifique, parfois si séduisante, notamment lorsqu’elle s’emploie à représenter des objets invisibles, tels un trou noir ou une collision d’étoiles.
Observer les sciences au travail : visite du CERN
En novembre 2017, un séjour de trois jours en Suisse au Paul Scherrer Institut (PSI) et au CERN a conduit les étudiants et enseignants participant au programme de recherche à observer directement le fonctionnement de deux grands accélérateurs de particules, celui du PSI et celui du CERN, le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Accompagnés dans leur visite par plusieurs physiciens, les étudiants ont par ailleurs bénéficié de conférences par des chercheurs tels Philipp Schmidt Wellenberg, Hans Peter Beck, Michael Hoch et Chiara Mariotti, spécialistes en physique des particules, acteurs de ces technologies de pointe, contributeurs de la découverte du boson de Higgs. Au CERN, nous avons visité deux détecteurs, Atlas et CMS, ainsi que l’usine ELENA qui fabrique de l’antimatière.
L’objet de ce parcours fut aussi de prendre conscience des lieux et des instruments de la recherche. Il nous a été possible d’observer de gigantesques salles de contrôle dont les écrans permettaient d’imaginer comment les particules entrent en collision, comment leurs traces émergent et disparaissent à une vitesse prodigieuse, comment ces milliards de collisions sont triées, enregistrées avant qu’elles ne s’évanouissent. La vision de ces collisionneurs encavés sous des blocs de bétons aux formes minimalistes qui protègent des ondes radioactives ; les perspectives tracées par des kilomètres de câbles à l’agencement chaotique qui, pourtant, s’organisent en des ordonnancements savants ; les sombres réserves d’hélium placées en hauteur au sein de dirigeables noirs flottant au plafond ; les dizaines de cuves argentées desquelles s’élèvent, parfois, de légères fumées, tout cela réduisait encore la distance entre l’univers scientifique et artistique.
Des centaines d’images, de vidéos et de captures sonores furent effectuées lors de ce séjour, devenant à leur tour un matériau intégré au processus de création.
Pour parachever le lien entre culture scientifique et artistique, un module Arts & Sciences s’est tenu du 22 au 25 janvier avec les étudiants de Polytech de l’Université de Lille – Sciences et Technologies, qui engagera les étudiants en art à développer leur production en dialogue avec des étudiants ingénieurs.
Nuit des idées, janvier 2018 : début des expositions
C’est à partir du 25 janvier que s’est tenue l’ouverture de l’exposition Collisions, inaugurée dans le cadre de la Nuit des Idées, à la Galerie Commune de l’Ecole Supérieure du Nord-Pas de Calais, site de Tourcoing, où seront présentées les productions plastiques des vingt étudiants du programme de recherche. Cette exposition s’est déplacée ensuite du 29 mars au 27 avril à l’Espace Croisé, Centre d’art contemporain situé à la Condition publique, à Roubaix. Puis elle a été présentée à Espace Culture de l’Université de Lille – Sciences et Technologies, du 28 mai au 13 septembre. Mentionnons que cette dernière structure culturelle a répondu favorablement à notre demande visant à faire en sorte que notre programme de recherche s’adresse de manière paritaire aux communautés respectives en arts et sciences dites « dures ».
Ainsi ce programme tente d’inventer un enseignement qui permette d’imprégner le champ de l’art et de la recherche par la dynamique scientifique afin d’imaginer des processus de création particuliers. Comment l’art peut-il interroger les mécanismes qui engendrent la lumière et l’espace – temps ? Qu’en est-il des analogies entre le microcosme et le macrocosme ? En quoi l’acte créatif du scientifique peut-il rejoindre celui des artistes ? Ces questionnements ont pour objet de favoriser la mise en oeuvre de nouvelles pièces où s’articulent des perceptions sonores, olfactives, tactiles et visuelles. Ainsi, les recherches et productions des acteurs de ce parcours démontrent qu’il est possible d’inventer de nouvelles pratiques d’enseignement commun à l’art et aux sciences et de redonner du sens au mot recherche lorsque ce dernier est impliqué dans la création, en inventant des modalités innovantes d’approche du savoir.