Introduction par Nathalie Stefanov

Les activités du programme

Co-existence.s est le titre de l’exposition du programme de recherche PRIST 2019-2020, qui fête sa cinquième année, renforçant une nouvelle fois ses liens avec les sciences et les laboratoires, ces territoires où la recherche invente le monde à venir et permet également de le rendre intelligible. Les sciences peuvent en effet s’entendre comme un mode d’accès au réel dont la création contemporaine, critique par essence, peut se saisir pour explorer à son tour les devenirs du monde, par le prisme des formes plastiques que sont l’installation, la programmation, le son, la vidéo, la sculpture, le dessin ou la photographie. Notre héritage culturel a forgé l’idée d’une séparation radicale entre les arts et les sciences. A l’ère de la transition écologique, il nous semble indispensable, “de repenser le découpage en disciplines pour s’affranchir d’une conception mono-disciplinaire et en silos des sciences”, comme l’énonce Dominique Méda. Cette approche vaut à nos yeux pour les arts.

Depuis septembre 2019, PRIST a développé de nombreuses activités qui ont débuté par la visite de deux laboratoires. L’un, l’IRCICA portant sur les objets connectés et l’interaction tactile et gestuelle, l’autre l’UGSF, portant sur la biologie et en particulier sur le végétal. Deux domaines de recherche a priori distincts l’un de l’autre qui se complètent en cela qu’ils traitent à leur manière des existences non humaines. Des workshops et des conférences réalisés par des artistes ou des philosophes ont aussi émaillé le programme, contribuant à nourrir la recherche des étudiants. Enfin, cette recherche fut complétée par le module de co-création Arts et Sciences mené avec vingt huit étudiants, dont quatorze de Master de Polytech’Lille, module qui a permis à autant d’étudiants de PRIST de faire coévoluer leur recherche plastique dans la perspective de l’exposition.

La thématique

Dans la continuité de Air fictions, Co-existence.s s’inscrit dans la pensée non-anthropocentrée, celle qui vise à établir une approche critique de l’humain dominant la nature et maîtrisant l’évolution de ses technologies. Il paraît urgent de s’interroger sur les modes de transformation de notre rapport aux existences autres que humaines, dont on dit qu’elles peuvent être dotées d’intelligence, végétale, animale ou artificielle. Si le terme existence est en usage pour qualifier le vivant, on pourrait s’étonner de son emploi pour décrire des objets technologiques comme la robotique ou l’intelligence artificielle. Nous pensons, à la suite de Timothy Morton, qu’il s’agit d’entités dotées d’existence propre qui agissent sur le système Terre, tout en étant décorrélés du sujet. Cet aspect de la question est traitée par la création de certains étudiants de PRIST qui font usage de technologies interactives ou de dialogues forgés par des réseaux de neurones co-évolutifs, nous forçant à repenser la séparation entre le Carbone et le Silicium pour reprendre les mots de Deleuze. 

@ Amélia Belhadj

Pour convoquer le vivant et nommer ces existences plurielles non-humaines, nous aurions aussi pu parler de ces “êtres autres qui comptent”, comme les nomme Dora Haraway, qui dans son Manifeste des espèces compagnes invite le lecteur à réfléchir au monde comme “un noeud en mouvement” dépassant la séparation des catégories arbitraires de nature et de culture. L’infinie diversité du monde vivant, sa richesse et son intelligence, aurait dû nous empêcher de la réduire à un simple mot, celui de Nature contre lequel le projet humain s’est édifié, en exploitant ses ressources, sans percevoir qu’il en faisait partie. Cette diversité aurait dû aussi nous faire passer le goût “des grands récits et des épopées viriles” au pouvoir ravageur qui peuple nos imaginaires. “Une croissance exponentielle dans un monde de taille fini n’est pas possible bien longtemps”, écrivait Aurélien Barrau. Plusieurs projets plastiques présentés à cette exposition prennent la mesure de cette alerte, amplifiant son caractère urgent par des installations qui donnent à voir les limites de la société de croissance. 

Dépasser les enfermements

Comment dépasser nos enfermements ? Une des réponses ne serait-elle pas, dans un premier temps, de prendre conscience des organismes qui peuplent ce monde dont l’humain n’est qu’un représentant, cela dans l’objectif de parvenir à transformer les interactions possibles, en réfléchissant aux liens fragiles de co-constitution “dans lesquels aucun des partenaires ne préexiste à sa mise en relation.” Cet aspect, consistant à prendre conscience des existences autres que humaines, est saisi par plusieurs travaux de cette exposition, qui mettent en évidence, par le prisme du végétal ou du phytoplancton, certaines caractéristiques rarement montrées de ces organismes, dans la perspective de faire advenir de nouveaux liens avec l’humain. 

Pour conclure cette introduction au programme de recherche PRIST, ajoutons que nous avons hésité à prendre pour titre le mot “coévolution”. Mais celui-ci, à la lumière des informations relatives à la croissance des industries pétrolières – pour n’en citer qu’une -, et aux conflits politiques et sociaux qui rythment notre actualité, nous a semblé bien peu refléter la situation dans laquelle nous évoluons. Co-existence.s, hélas, s’harmonise davantage à nos modes d’approche des existences non humaines avec lesquelles il est urgent de construire d’autres liens. 

Les quelques pages qui suivent retracent les diverses activités du programme qui sont autant de manières de penser à nouveaux frais les multiples régimes de coexistence avec les êtres et les entités qui comptent.